Avis Cyril Girardin Ligne 18 – juillet 2020
J’habite sur le territoire du plateau de Saclay, dans la commune de Châteaufort. J’ai suivi les projets de campus et de transport du Grand Paris depuis leur lancement, en 2007 et 2008. Je m’oppose catégoriquement à ce projet de ligne 18 que je considère, sur ce territoire agricole, en 2021, comme un anachronisme, et en particulier sa partie ouest entre Gif-Saint Aubin et Versailles.
L’Etat s’enferre, depuis des années, avec cette ligne de métro au travers des champs dans une politique dogmatique en faveur du bétonnage du plateau (ou des bétonneurs), dans une politique illisible pour les citoyens de ce territoire, qui ne retireront aucun avantage de cette ligne, alors même qu’ils attendent un TCSP depuis des années (bus à haut niveau de service sur voie réservée – transport en commun en site propre). L’Etat conduit ainsi, en 2021, sur la lancée de 2007, une politique incohérente face à ce que sont aujourd’hui, devant nous, les enjeux écologiques et climatiques.
Point 1 : l’Etat contourne les dispositions de protection de la Nature : Je souhaite d’abord pointer une incohérence entre le discours qui se veut parfois « écologique » de l’Etat et la réalité de son action dans ce type de projet : dans le dossier d’enquête, pièce J15b, concernant l’autorisation environnementale pour cette ligne il est rappelé, en page 6, que cette autorisation environnementale tient lieu: - De dérogation à l’interdiction d’atteinte aux espèces et habitats protégés en application des articles L411-2 et suivants »
Page 5 il est aussi indiqué : « que le Conseil National de la Protection de la Nature a rendu un avis défavorable » sur ce projet , « mais que des mesures supplémentaires sont prescrites par le présent arrêté ». Je n’ai pas compris si le Conseil National de Protection de la Nature avait été consulté une seconde fois et s’il avait validé ces mesures supplémentaires. Je reste donc très inquiet de son premier avis, révélateur, pour moi, de l’analyse, et des inquiétudes sur ce projet, de la part d’une instance réellement sensible au sujet de la nature et de l’environnement.
Ceci indique, de mon point de vue, que l’Etat, sensé être garant de la protection et du respect de l’interdiction d’atteinte aux espèces et habitats, se donne le droit, pour cette ligne 18, de déroger, à cette obligation de protection des espèces et habitats « protégés ».
Point 2 : l’Etat ne sait pas tenir compte de l’extraordinaire qualité des sols fertiles du plateau de Saclay : Cet autre point concerne les sols fertiles du plateau de Saclay. Plus d’un millier d’hectares de cette ressource précieuse ont été consommés depuis les années 80 (rapport de la Safer) suite aux différents aménagements. Bien entendu il n’y a pas de loi générale pour protéger cette ressource car il n’y a pas, comme pour l’eau ou l’air, de directive cadre européenne alors que l’on sait l’artificialisation très préoccupante en Europe, et la ressource partout consommée. Même si l’Etat a mis en place un dispositif et, par là, posé un objectif de « Zéro Artificialisation Nette », on voit bien, avec ces projets sur Saclay, comment l’Etat d’affranchit de règles qu’il a lui même établi.
Défaut de protection de la Nature, défaut de protection des sols fertiles, tout cela est révélateur, pour moi, de ce qui se joue à Saclay depuis quelques années déjà, et qui doit être qualifié d’ « écocide » : un écocide est la destruction ou l'endommagement irrémédiable d'un écosystème par un facteur anthropique.
Troisième point : la très mauvaise prise en compte de la composante agricole historique de ce territoire : Si l’on considère le temps long, l’économie de ce territoire est établie sur l’agriculture. Cette agriculture est, depuis 30 ans au moins, mise à mal par les projets d’aménagements. Nous avons pu le constater encore récemment avec les travaux au Christ de Saclay sur la RD36. Ces travaux ont été source de nombreux désordres pour les agriculteurs qui ont eu recours, parfois, à constat d’huissier pour tenter de faire respecter leurs droits : dégradation de parcelles adjacentes à la zone de travaux, rupture de drains et inondation de parcelles normalement bien drainées, roulage d’engins du BTP et tassement des sols agricoles, etc. Pour pérenniser l’agriculture de ce territoire, il ne suffit pas d’établir une ZPNAF, comme l’a fait la loi du Grand Paris en 2010. Cette zone protégée ne peut vivre en vase clos séparée de ces filières amonts (fournitures) et avales (collecte –distribution). Les décisions de l’Etat se sont toujours fait au détriment de l’agriculture et en faveur du métro, comme l’économie de 250 millions d’euros pour passer en souterrain sous le plateau, alors que le projet a été renchéri de 3,12 à 4,94 milliards d’euros. Ces 0,2 milliards ne représentaient tout de même pas grande chose, à l’échelle du projet, pour permettre de réduire tout à fait les menaces que porte ce projet pour l’activité agricole de ce territoire. D’ailleurs dans les 5000 pages du dossier d’enquête publique il est impossible de trouver une étude sérieuse sur l’impact de ce métro sur l’agriculture du territoire. Même l’étude socio-économique, pièce H du dossier, néglige cette composante. On peut indiquer, par exemple, que ce rapport n’utilise que 3 fois le terme « agriculture » dans un rapport de 54 pages.
1) Contournement de l’Etat des dispositions de préservation de la Nature, 2) aucune considération pour les sols riches et fertiles et poursuite de l’artificialisation, 3) aucune considération de l’agriculture pourtant une activité historique de ce territoire : par ces 3 aspects l’Etat témoigne d’une forme de cécité et d’un dogmatisme avec un ensemble de décisions en faveur du BTP mais clairement contre les enjeux environnementaux et les intérêts des activités agricoles historiques de ce territoire
Dans le contexte du dérèglement climatique, de la convention citoyenne pour le climat, et de la crise du coronavirus qui a montré la fragilité de nos sociétés, l’Etat poursuit un projet qui va rayer de la carte un large territoire encore agricole proche de Paris, une ressource, un milieu naturel plurimillénaire.
Tout cela pour la ligne 18 : Qu’est-ce que ce projet de ligne 18 ? C’est, dès le départ, dans le schéma de Christian Blanc, un projet d’urbanisation. La population actuelle du plateau, même celle de Saint Quentin en Yvelines, ou de Palaiseau, ne justifie absolument pas ce type de transport . Depuis 10 ans la SGP est incapable de fournir des données chiffrées qui justifie la capacité de transport de ce métro : 150 000 passagers par jour et jusqu’à 20 000 passagers/h par sens, à l’heure de pointe. La partie ouest de ce métro, en particulier, entre le CEA de Saclay et Voisin le Bretonneux, ne nécessite absolument pas cette capacité de transport. Le surcoût économique de ce transport est devenu aujourd’hui totalement aberrant et déraisonnable au regard du potentiel de voyageurs transportés, mais aucun « décideur », aucun personnage de pouvoir, ne semble vouloir le révéler, ou le relever. L’article de Jean Vivier dans le Monde du 7 juin est pourtant très clair et très bien argumenté pour dénoncer l’hérésie de ce projet. Ce transport Est-Ouest ne répond pas aux problèmes des déplacements Nord-Sud, depuis le sud-Essonne notamment, qui représentent une très forte proportion des déplacements vers le campus Paris-Saclay, et qui saturent déjà très fortement les routes de la vallée de l’Yvette, lieu de passage obligé en direction du plateau. Ce transport a aussi, depuis 10 ans au moins, conduit à enterrer toutes les autres options de transport : abandon du TCSP entre Voisin le Bretonneux et le CEA de Saclay, abandon des projets de téléphériques entre vallée de l’Yvette (RER B) et plateau. Ceci est clairement incompréhensible et même scandaleux car ces offres de transport alternatives au métro auraient pu, bien avant 2025 , déjà en 2021 ou 2022, apporter des solutions efficaces. En enterrant ces solutions alternatives les décideurs démontrent qu’ils jouent une partie avec le BTP mais contre le public, usagers et habitants de ce territoire.
Depuis des années les habitants de ce territoire se voient imposer un projet d’urbanisation qui détruit leur environnement, alors que, parfois, les familles sont établies ici depuis plusieurs générations. Ces citoyens qui s’expriment régulièrement dans les consultations publiques ne sont pas écoutés. Les élus, leur représentants, qui s’opposent à ce projet, y compris auprès du Conseil d’Etat, ne sont pas plus entendus. Nous vivons sur ce sujet un complet déni de démocratie. J’ajoute aujourd’hui cette n-ième contribution, mais sans aucune illusion, simplement pour dire le mépris et la tristesse que je ressens de voir dans ces procédures l’expression des citoyens totalement ignorée et bafouée.
Mesdames et Messieurs les commissaires enquêteurs, ne soyez pas les « très dévoués » serviteurs de l’Etat sur ce dossier, mais considérez, enfin , l’expression citoyenne et la résistance qui s’exprime dans ces lignes et dans de nombreuse autres pages, face à ce funeste projet de ligne 18, qui porte en lui la promesse d’une destruction progressive, mais certaine, du remarquable caractère agricole de ce territoire, et de ressources très précieuses que sont les sols fertiles du plateau de Saclay
Cyril Girardin – 30 juillet 2021
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